COP29 : Dans un contexte géopolitique tendu, l’objectif de finance climat est-il menacé ?

Note d’analyse de l’Observatoire mondial de l’action climat

Auteur : Tania Martha Thomas, coordinatrice de l’Observatoire

Date : octobre 2024

Sommaire :

  • Contexte : hausse des émissions et intensification des impacts climatiques
  • Le NCQG : de grands enjeux, de grandes attentes
  • Priorités de l’agenda officiel : atténuation, marchés de carbone, adaptation, pertes et dommages
  • Signaux contradictoires de la présidence et doutes sur l’organisation de la COP

Contexte : hausse des émissions et intensification des impacts climatiques

En 2023, les émissions mondiales de CO2 provenant de tous les secteurs, à l’exception de l’usage des sols, ont augmenté de 1,6 % par rapport à 2022 et de 8,1 % par rapport à 2015, ce qui constitue un nouveau record (cf. le tableau 1). Tous les secteurs d’utilisation de l’énergie ont connu une augmentation annuelle des émissions de CO2, à l’exception des bâtiments résidentiels et de l’agriculture (la grande majorité des émissions agricoles étant des gaz autres que le CO2, à savoir le méthane et l’oxyde nitreux),[1]  loin des trajectoires requises[2] pour être en phase avec les objectifs de l’Accord de Paris. En effet, des réductions de 42 % et 57 % sont nécessaires d’ici 2030 et 2035, si l’on veut rester dans la limite de 1,5 °C, selon le dernier rapport du PNUE sur les écarts d’émissions (Emissions Gap Report).


Evolution 2022 – 2023 Evolution 2015 – 2023
Total (sauf UTCATF) +1,6 % +8,1 %
Energie +1,5 % +10,2 %
Transports +3,9 % +9,1 %
Bâtiments (Résidentiel + Services) +0,1 % +6,8 %
Agriculture -3,7 % +12,3 %
Industrie +1,2 % +9,2 %


Cette augmentation des émissions reste, comme l’a souligné l’Observatoire les années précédentes[3], contrastée en fonction des régions du globe, avec une augmentation beaucoup plus importante dans les pays en voie de développement. Les pays en développement d’Asie, Chine et Inde en tête, représentent plus de la moitié des émissions mondiales. Dans le même temps, la différence entre les émissions par habitant de pays développés et de pays en développement, reste importante, celles de la Chine n’ayant dépassé que récemment celles de l’UE ou du Japon, tandis que celles de l’Inde restent inférieures à la moitié de la moyenne mondiale[4].

Ces derniers mois ont également été marqués par des températures de plus en plus chaudes, des cycles hydrologiques erratiques et une intensification des effets climatiques dans plusieurs régions du monde[5],[6],[7].

La COP climat se déroule aussi dans un contexte géopolitique particulièrement compliqué, et à la suite d’élections dans plusieurs juridictions à travers le monde.

Dans ce contexte, des milliers de négociateurs représentant près de 200 pays, ainsi que des représentants des collectivités locales, des entreprises et de la société civile du monde entier vont converger vers le point culminant des négociations annuelles sur le climat lors de la COP29 de la CCNUCC à Bakou, en Azerbaïdjan, du 11 au 22 novembre. La COP de Bakou est une étape cruciale sur la voie des objectifs de 2030 et 2050 pour le climat, la nature et le développement.

Le NCQG : de grands enjeux, de grandes attentes

La COP29 a été surnommée « la COP finance », les négociations sur le Nouvel Objectif Collectif Quantifié (NCQG) étant au centre de l’attention. En 2009, les pays s’étaient mis d’accord sur un objectif de 100 milliards de dollars de financement climatique à mobiliser par an en 2020. Selon les chiffres de l’OCDE, cet objectif n’a été atteint qu’en 2022[8]. Le NCQG, inclus dans l’article 9 de l’Accord de Paris, est censé remplacer l’objectif de 2020 et être adopté lors de la COP29. Jusqu’à présent, les progrès ont été lents et les négociations lors des intersessions à Bonn ont donné lieu à peu d’avancées concrètes sur la question[9] – les pays négocient toujours le montant de cet objectif, ainsi que les contributeurs, les bénéficiaires et les instruments par lesquels il sera acheminé. Les pays ne sont pas d’accord non plus sur la question de savoir si le NCQG doit être limité à l’article 9 de l’accord ou s’il doit être plus large (et inclure, par exemple, le financement des pertes et dommages).

Une réunion ministérielle a été organisée au cours de la deuxième semaine d’octobre à Bakou afin de progresser sur certains aspects du NCQG et de préparer le terrain en vue d’un accord ambitieux lors de la COP. Si ces discussions ont permis aux pays de se mettre d’accord sur la structure de l’objectif (y compris sur les sources de financement publiques et privées), d’importantes lacunes subsistent :[10] les pays en développement ont fait pression pour que l’objectif soit suffisamment important pour répondre à leurs besoins en matière d’atténuation et d’adaptation, proposant des chiffres de 1 à 2 000 milliards de dollars par an, ce que certains considèrent comme « irréaliste ». Les pays développés ont hésité à citer un chiffre, convenant que l’objectif doit être « au moins » aussi important que celui de 100 milliards de dollars. Des parties comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne et le Japon soutiennent également que la classification entre pays développés et pays en développement, qui remonte à 1992, n’est plus pertinente, et que des pays en développement comme la Chine ou l’Arabie saoudite pourraient également contribuer au nouvel objectif.

La question des instruments et des sources est également essentielle : la majorité de la finance climatique mobilisée jusqu’à présent a été financée par des fonds publics, en grande partie par le biais de prêts non concessionnels[11]. Dans un contexte où les gouvernements africains dépensent jusqu’à 15 % de leur PIB par an pour répondre aux impacts climatiques, le financement climatique sous forme de prêts pourrait à long terme aggraver leur endettement[12]. Une mobilisation insuffisante du financement climatique risque par ailleurs de déclencher une transition « à deux vitesses », comme l’a souligné Simon Stiell, secrétaire exécutif de la CCNUCC, à propos des énergies renouvelables[13]. Plus largement, la question du financement a été par le passé un obstacle à l’avancement des négociations sur d’autres points à l’ordre du jour dans le cadre de l’Accord de Paris. Alors que les pays préparent leurs troisièmes contributions déterminées au niveau national (CDN 3.0), le montant des financements peut influencer le niveau d’ambition des engagements des pays en développement.

Priorités de l’agenda officiel : atténuation, marchés du carbone, adaptation, pertes et dommages

Parmi les domaines prioritaires pour la poursuite des négociations figure le programme de travail sur l’atténuation et la manière dont il intégrera les résultats du premier Global Stocktake (GST). C’est aussi le moment de fixer les modalités du prochain bilan mondial, et il est donc crucial de décider comment améliorer le processus et le rendre plus inclusif, en particulier la phase politique. Sur le front de la transition énergétique, il est important de progresser dans la concrétisation des objectifs de la COP28, de tripler les capacités renouvelables et doubler le taux d’amélioration de l’efficacité énergétique en 2030, grâce aux engagements pris par les pays. L’abandon des combustibles fossiles, mentionné pour la première fois dans le texte final de la COP28 à Dubaï mais absent des priorités de la présidence azerbaïdjanaise,[14] reste une pomme de discorde. C’est l’un des sujets en discussion dans le cadre du « dialogue des EAU sur la mise en œuvre des résultats du GST » (UAE dialogue on implementing GST outcomes).

Lors de la pré-COP qui s’est tenue à Bakou la deuxième semaine d’octobre, les négociations sur l’article 6 (relatif aux marchés carbone et à la coopération internationale en matière d’échange de crédits) ont marqué une étape importante, avec l’adoption de normes sur les exigences en matière de méthodologie et sur les activités qui devraient être considérées comme des suppressions de carbone[15]. Les experts techniques ont également adopté un « outil de développement durable », qui introduira des garanties sociales et environnementales, exigeant des développeurs de projets qu’ils procèdent à des évaluations des risques liés à la terre, à l’eau, aux droits de l’homme, à la santé, à l’égalité des sexes et aux peuples indigènes[16]. La COP29 a pour objectif de structurer et de rendre opérationnels les marchés du carbone, à la suite de l’adoption des règles lors de la COP26.

En ce qui concerne l’adaptation, la prochaine étape pour la communauté mondiale est l’opérationnalisation du cadre des EAU (UAE Framework) pour l’objectif mondial d’adaptation, qui vise à mettre l’adaptation sur un pied d’égalité avec l’atténuation[17]. Le programme de travail en cours dans ce domaine vise à adopter des indicateurs pour mesurer les progrès accomplis dans la réalisation de l’objectif – un défi d’autant plus difficile à relever qu’il n’existe pas de définition universelle d’une adaptation réussie, compte tenu de la nature spécifique des risques et des vulnérabilités au niveau local. Avec plus de 5 000 indicateurs soumis par des pays et des parties prenantes non parties, le défi consiste ici à sélectionner des indicateurs « pertinents et réalisables », sans alourdir la charge de travail des États en matière de reporting[18].

La COP28, qui s’est tenue à Dubaï, a vu la création du fonds pour les pertes et préjudices, et des progrès significatifs ont été accomplis en vue de sa mise en place et de son fonctionnement[19]. Néanmoins, les États doivent encore se mettre d’accord sur plusieurs questions clés, à savoir qui contribuera au fonds, si ce dernier recevra des financements privés, quels instruments seront utilisés pour canaliser les financements, et quels pays en bénéficieront.

Signaux contradictoires de la présidence et doutes sur l’organisation de la COP

Dans une lettre publiée en juillet 2024, le président de la COP29, Mukhtar Babayev, a présenté la vision de la présidence azérie basée sur deux piliers : renforcer l’ambition et faciliter l’action[20]. Le NCQG reste au cœur de cette vision, l’inclusivité étant un principe d’action essentiel. Le programme d’action présenté par la présidence contient des initiatives et des engagements globaux que l’Azerbaïdjan entend proposer à Bakou, et comprend l’augmentation de la capacité de stockage des batteries et des réseaux électriques, la libération du potentiel d’un marché mondial de l’hydrogène, des plans d’action pour l’eau et le tourisme, des voies pour la résilience au niveau des villes, la réduction des émissions de méthane provenant des déchets, et plus encore – mais il ne mentionne pas l’abandon progressif des fossiles.[21]

Climate Action Tracker a jugé l’action climat de l’Azerbaïdjan « gravement insuffisante »,[22] le pays ayant apparemment abandonné son objectif de réduction des émissions pour 2030 et prévoyant d’accroître l’extraction de gaz fossile de plus de 30 % au cours de la décennie à venir. La mise à jour de la CDN 2023 du pays hôte s’est révélée moins ambitieuse que sa contribution initiale. Parallèlement, des organisations de la société civile ont fait part de leurs préoccupations concernant le bilan du pays en matière de droits humains et de répression des activistes[23]. Le conflit en cours avec l’Arménie a également été un sujet de préoccupation, bien que les deux pays aient exprimé leur intention de signer une trêve avant les négociations sur le climat[24], [25].

La COP28 à Dubaï avait connu une participation record, un peu plus de la moitié des 84 000 participants provenant de délégations gouvernementales, le reste appartenant à des groupes d’acteurs non étatiques. La CCNUCC a indiqué qu’une participation accrue ne se traduisait pas nécessairement par de meilleurs résultats, et envisage de réduire les deux prochaines COP à Bakou et à Belém, au Brésil, étant donné les capacités limitées des villes hôtes[26]. Dans le même temps, le Secrétariat a tenté de redistribuer l’attribution des badges aux organisations d’observateurs en faveur de celles des pays en développement, une décision qui a été contestée par certaines grandes ONG basées dans les pays développés[27]. À cela s’ajoute la non-participation de grands acteurs financiers du secteur privé – qui pourrait potentiellement entraver les progrès sur certains aspects du NCQG – ainsi qu’un manque de clarté sur les positions des pays développés [28], [29].

Dans l’ensemble, la COP climat se déroule cette année dans un contexte d’incertitude, dans un contexte marqué par des tensions entre les pays. Des résultats tardifs, en particulier sur le plan financier, pourraient ralentir les progrès mondiaux à un moment crucial pour l’action.

Références

[1] Enerdata Global Energy & CO2 Database. Accessed 07/10/2024.

[2] UNEP (2024). Emissions Gap Report 2024.

[3] Global Observatory of Climate Action (2023). Global Synthesis Report on Climate Action 2023. Climate Chance.

[4] IEA (2024). CO2 Emissions in 2023. IEA.

[5] Copernicus (06/09/2024). Summer 2024 – Hottest on record globally and for Europe. [Press release]. Copernicus.

[6] WMO (2024). State of Global Water Resources 2023. WMO.

[7] WMO (2024). State of the Global Climate 2023. WMO.

[8] OECD (29/05/2024). Climate Finance Provided and Mobilised by Developed Countries in 2013-2022. OECD.

[9] Gabbatiss, J. & Lempriere, M. (14/06/2024). Bonn climate talks: Key outcomes from the June 2024 UN climate conference. Carbon Brief.

[10] Lo, J. (09/10/2024). Progress on structure for new global climate finance goal but trickier divides persist. Climate Home News.

[11] Jensen, L. & Roniger, J. (11/2023). International climate finance: Status quo, challenges and policy perspectives. European Parliamentary Research Service.

[12] Mohamed, A. (10/09/2024). Baku must be a ‘finance COP’. Nation.

[13] Rowling, M. (24/09/2024). UN climate chief warns of “two-speed” global energy transition. Climate Home News.

[14] Bryan, K. (17/09/2024). COP29 host skips over fossil fuels to waste methane and energy storage. Financial Times.

[15] Bryan, K. & Mooney, A. (11/10/2024). UN carbon trading expert group agrees deal on market framework. Financial Times.

[16] Civillini, M. (10/10/2024). UN approves carbon market safeguards to protect environment and human rights. Climate Home News.

[17] Thomas, T. M. (12/2023). Les progrès de l’Objectif mondial d’adaptation : Le chemin long et difficile vers un cadre flou. Climate Chance.

[18] Adade Williams, P. et al. (07/10/2024). Guest post: How to track progress towards the ‘global goal on adaptation’?. Carbon Brief.

[19] Raya, T. Z. (15/08/2024). Progress of the Operationalisation of the Loss and Damage Fund: Key Takeaways from the Board Proceedings and What Lies Ahead. International Centre for Climate Change and Development.

[20] In Solidarity for a Green World. [COP29 President-Designate’s First Letter to Parties and observer States.]

[21] COP29 Presidency Action Agenda Letter

[22] Climate Action Tracker (25/09/2024). The CAT rates COP29 host Azerbaijan’s climate action “Critically insufficient”. Climate Action Tracker.

[23] FranceInfo (08/10/2024). COP29 à Bakou : l’Azerbaïdjan intensifie sa répression contre les opposants au régime, dénonce Human Rights Watch dans un rapport au vitriol. FranceInfo.

[24] Financial Times (13/10/2024). COP29 and the greenwashing of Azebaijan. [Opinion]. Financial Times.

[25] Mooney, A. (14/10/2024). Armenia aims to sign peace deal with Azerbaijan before COP29. Financial Times.

[26] Martins Morais, A., Civillini, M. & Lo, J. (24/04/2024). Peak COP? UN looks to shrink Baku and Belém climate summits. Climate Home News.

[27] Civillini, M. & Lo, J. (06/09/2024). Bigger share of COP29 badges for Global South NGOs upsets rich-country groups. Climate Home News.

[28] Mooney, A. et al (07/10/2024). ‘You only go to the party if everyone is going’: finance bosses to skip COP29. Financial Times.

[29] Ainger, J. (14/10/2024). EU Agrees COP29 Climate Stance, Leaving Money Question Unanswered. Bloomberg.