Le Secrétariat de la CCNUCC présente un nouveau cadre de reconnaissance et de redevabilité de l’action climat des acteurs non-étatiques : que peut-on en attendre ?

[juillet 2023] Lors de la Conférence de Bonn, le Secrétariat de la CCNUCC a présenté un cadre de reconnaissance et de redevabilité pour l'action climat des acteurs non-étatiques, visant à valoriser leurs contributions, améliorer la crédibilité des engagements et renforcer le suivi dans le contexte de l'adoption de la neutralité carbone.

Note de l’Observatoire mondial de l’action climat

  • Auteur : Antoine Gillod, Directeur de l’Observatoire
  • Date : Juillet 2023
  • Sommaire
    • La vague net zéro emporte les acteurs non-étatiques
    • Pour mieux comprendre. Les mots de la neutralité carbone
    • La redevabilité, une question émergente à l’agenda international pour le climat
    • Présentation
    • Prochaines étapes
    • Quel est l’impact attendu ?

Lors de la Conférence de Bonn sur le changement climatique 2023, le nouveau secrétaire exécutif de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), Simon Stiell, a annoncé la création d’un nouveau cadre de redevabilité pour les acteurs non étatiques de l’action climatique. Alors que la neutralité carbone est en train d’être généralisée dans le monde entier, cette initiative peut-elle faire la différence en améliorant l’intégrité des plans de transition et le suivi des progrès ?

La vague net zéro emporte les acteurs non-étatiques

Cela fait des années que, depuis l’adoption de l’Accord de Paris en 2015 et la publication du rapport spécial du GIEC sur les impacts d’un réchauffement climatique de 1,5 °C, la neutralité carbone est devenue la boussole des stratégies d’action climat. 148 pays couvrant 88 % des émissions mondiales sont désormais engagés à devenir « net zéro » avant le milieu du siècle. Lancée en 2021 lors de la COP26, la campagne Race to Zero menée par les Champions de haut niveau recense également 11 309 acteurs non étatiques, dont 8 307 entreprises, 595 institutions financières, 1 136 villes, 52 États et régions du monde entier, à avoir fixé un objectif de neutralité carbone. De nombreuses initiatives de coopération internationale ont également été lancées sous l’égide de la Global Financial Alliance for Net Zero (GFANZ) afin de mobiliser les acteurs financiers autour de cet objectif.

Ce mouvement s’est même étendu aux entreprises opérant dans des secteurs d’activité à forte intensité de carbone, et a même atteint des entreprises réticentes à entreprendre des actions en faveur du climat. Début octobre 2021, le Conseil international des mines et métaux (ICMM), qui regroupe 28 des plus grandes sociétés minières du monde, a publié une lettre ouverte indiquant que tous ses membres s’étaient engagés à réduire leurs émissions et à viser la « neutralité carbone » d’ici à 2050. Plusieurs de ses membres avaient déjà adopté depuis plusieurs mois des plans climat avec pour objectif la « neutralité carbone ». Parmi les majors pétrolières européennes, BP, Shell, TotalEnergies, ENI et Equinor ont intégré la neutralité carbone dans leurs stratégies de croissance (cf. Global Synthesis Report on Climate Action 2021), bien que la réduction de la production de pétrole et de gaz demeure encore un horizon lointain. Même l’américaine ExxonMobil, toujours empêtrée dans des affaires de lobbying anti-climat, a récemment introduit le terme « net zéro » pour ses activités dans le Bassin permien.

Pour mieux comprendre : Les mots de la neutralité carbone

« Neutralité carbone », « net zéro, »… Le glossaire du rapport sur l’atténuation du changement climatique du groupe III du GIEC, publié en avril 2022, a fait évoluer les définition des différents termes en usage :

  • La neutralité carbone (carbon neutrality) désigne « Les conditions dans lesquelles les émissions anthropiques de dioxyde de carbone (CO2) associées à un sujet sont équilibrées par les retraits de CO2 anthropique. Le sujet peut être un pays, une organisation, un quartier ou un produit, ou une activité telle qu’un service ou un évènement. La neutralité carbone est souvent évaluée en cycle de vie incluant les émissions indirectes (scope 3), mais peut être aussi limitée aux émissions et retraits, sur une période spécifique, sur lesquelles le sujet a un contrôle direct […] ». La neutralité des gaz à effet de serre (greenhouse gas neutrality), s’applique plus largement à l’ensemble des gaz à effet de serre (CH4 , SF6 , N2 O…), et pas seulement au dioxyde de carbone, comme dans la définition de la « neutralité carbone ».
  • Les émissions net zéro de CO2 (net zero CO2 emissions) désigne « les conditions dans lesquelles les émissions de dioxyde de carbone (CO2) sont équilibrées par les retraits anthropiques de CO2 sur une période spécifique ». Les émissions net zéro de gaz à effet de serre (net zero GHG emissions) incluent également l’ensemble des gaz. La différence entre « net zéro » et « neutralité carbone » demeure parfois floue et varie selon les usages. Le GIEC retient qu’à l’échelle mondiale, les termes net zéro et neutralité carbone sont équivalents.

À échelle inférieure, le « net zéro » se restreint aux émissions et séquestrations sous contrôle direct ou de la responsabilité territoriale de l’entité, tandis que la neutralité carbone s’applique aussi aux émissions et retraits au-delà de ce périmètre. En pratique, le net zéro peut faire référence à une trajectoire alignée sur l’objectif 1,5 °C, comme pour la Science-based Target Initiative (SBTi, voir plus bas), alors que la neutralité carbone est un état statique d’équilibre entre émissions et absorptions, non adossé à une trajectoire. Il faut noter que depuis l’AR6, le GIEC a adopté une conception extensive des concepts de neutralité qui permet de l’utiliser à l’échelle d’une organisation ou d’un produit. Jusqu’alors, dans le rapport sur les conséquences d’un réchauffement à 1,5 °C, le « zéro émission nette » n’était envisagé que « lorsque les émissions anthropiques de CO2 sont équilibrées au niveau mondial par l’absorption de CO2 anthropique sur une période donnée. Les émissions nettes de CO2 sont également appelées neutralité carbone » ; autrement dit, la neutralité carbone des organisations comme les villes ou les entreprises n’était pas évoquée ici. Il faut rappeler à cet égard que le GIEC n’est pas une autorité normative, et cette définition extensive de la neutralité continue de faire débat.

Dans le contexte d’adoption massive de la grammaire de la « neutralité », la crédibilité des engagements (pledge) repose sur la capacité des acteurs à s’appuyer sur des standards robustes pour 1) dresser un inventaire de leurs émissions, 2) fixer des objectifs, 3) formuler des plans, 4) mettre en œuvre des actions et 5) évaluer leur impact sur la réduction des émissions. En réponse à la vague du « net zéro », et dans la perspective d’un bilan mondial piloté par les Parties et dont les résultats seront présentés lors de la COP28, le secrétariat de la CCNUCC plaide en faveur d’un cadre de redevabilité (accountability) plus solide pour les acteurs non-étatiques.

La redevabilité, une question émergente à l’agenda international pour le climat

La question de la responsabilité des acteurs non étatiques dans l’action climatique a été engagée lors de la COP26, lorsque le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a annoncé la convocation d’un Groupe d’experts de haut niveau (HLEG) sur les engagements d’émissions nettes zéro des entités non étatiques, afin d’améliorer la crédibilité des engagements et le suivi des résultats par les parties prenantes non étatiques.

Composé de 18 experts et présidé par Catherine McKenna, ancienne ministre canadienne de l’environnement, le HLEG a été lancé en mars 2022 et a publié son rapport “Integrity Matters: Net Zero Commitments by Businesses, Financial Institutions, Cities and Regions”, lors de la COP27 en novembre 2022. À travers 10 recommandations, il vise à améliorer la qualité, l’intégrité et la crédibilité des engagements net zéro, des plans de transition et du suivi des progrès par les acteurs individuels et les coalitions.

Dans le même temps, la COP27 et la CMA4 (la « Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties à l’Accord de Paris ») ont toutes deux invité le Secrétariat à « assurer une plus grande responsabilisation des initiatives volontaires par le biais de la plateforme Non-State Actor Zone for Climate Action  » (NAZCA, désormais appelée Global Climate Action Portal, ou GCAP).

En réponse à cette invitation, Simon Stiell, le nouveau secrétaire exécutif de la CCNUCC, a dévoilé deux nouveaux documents et lancé un nouveau processus de consultation :

Présentation

Le Cadre vise à « reconnaître » et « célébrer » les contributions volontaires et les progrès des non-Parties à l’Accord de Paris. Il ne s’agit donc pas de contrôler ou de sanctionner – ce qui dépasse le cadre du mandat de la CCNUCC – mais plutôt de valoriser les bonnes pratiques, d’encourager l’ambition et d’identifier les différents obstacles que les acteurs individuels et les coalitions peuvent rencontrer. Pour ce faire, il énonce des « principes » d’amélioration en matière d’engagements, de gouvernance et de gestion des données.

Le plan de mise en œuvre vise à rendre opérationnelles les recommandations du HLEG afin de renforcer la crédibilité des engagements, de « vérifier » les progrès et de reconnaître les bonnes pratiques pour les acteurs non étatiques individuels (entreprises, gouvernements locaux…) et les coalitions d’actions (dont la plupart sont engagées dans le cadre du Partenariat de Marrakech). Pour le Secrétariat, il s’agira essentiellement d’améliorer le portail de l’action mondiale pour le climat. Le plan est structuré en deux parties :

  • Garantir l’accès à un recueil public commun pour les engagements, les plans et les rapports d’avancement des acteurs individuels et des coalitions. Pour ce faire, le Secrétariat produira notamment :
    • Une version améliorée du GCAP 
    • Un canevas unique pour le rapportage des engagements, des plans et des rapports de progrès 
    • Des partenariats privilégiés avec les plateformes de reporting (CDP, NZDPU…). 
  • Mettre en place des cadres de « validation » et de « vérification » distincts pour les engagements, les plans et les rapports d’avancement. À cette fin, le secrétariat convoquera :
    • Un groupe de travail réunissant des acteurs actifs dans la vérification pour travailler sur le GCAP 
    • Un groupe d’experts indépendant pour formuler des recommandations sur les approches de validation des plans de transition 
    • Une évaluation des approches de la vérification des données d’émissions par des tiers et des recommandations pour améliorer cette vérification, conduisant à « la création d’une approche universellement acceptée de la vérification par des tiers des inventaires annuels d’émissions » 
    • Une unité d’appui technique pour ces groupes.

Prochaines étapes

  • Jusqu’au 1er octobre 2023 : consultation publique sur le plan de mise en œuvre.
  • Juillet-Août 2023 : expression d’intérêt des organisations qui souhaitent prendre part aux groupes de travail et d’experts.
  • Décembre 2023 (COP28) : publication d’un rapport de progrès sur la mise en oeuvre du cadre de redevabilité.
  • Mars 2024 : les orientations de la CCNUCC seront transformées en canevas normalisés pour la soumission des engagements zéro net et des plans de transition en vue de leur publication dans le GCAP.

Quel est l’impact attendu ?

Que peut-on attendre de cette nouvelle initiative ? Tout d’abord, il faut dire que le mandat de la CCNUCC est axé sur les Parties et les États, et qu’elle a donc un pouvoir de contrôle limité sur les acteurs non-étatiques. Deuxièmement, le secrétariat de la CCNUCC et l’Accord de Paris sont fondés sur la recherche d’un consensus entre toutes les Parties. Par conséquent, pour maintenir le plus petit dénominateur commun entre tous les pays, la capacité de coercition de l’ONU et de ses agences et programmes affiliés reste très faible. En fin de compte, la mise en œuvre des recommandations du HLEG et le renforcement du cadre de responsabilité sont entre les mains des États nationaux.

Toutefois, ce nouveau cadre et ce projet de plan pourraient inciter les Parties à accorder une plus grande attention à la crédibilité et à l’impact des engagements, des objectifs, des plans de transition et des actions non étatiques. Cette initiative du Secrétariat s’inscrit également dans le débat croissant – animé par les ONG et des think tanks – sur la réforme du statut de la CCNUCC et des COP, en vue notamment de conférer à ces instances de plus amples prérogatives et obligation de contrôle et de suivi des acteurs.