L’irruption de la pandémie de Covid-19 a fait plonger le monde dans sa première récession depuis 2008, et entraîné une baisse historique des émissions mondiales sur l’année 2020 (-5 % par rapport à 2019). Ce choc sans précédent puis la reprise économique laissent entrevoir des profils régionaux distincts au regard des ruptures engendrées avec les tendances d’évolution des émissions depuis l’ac­cord de Paris : en Europe et dans les Amériques, la forte baisse des émissions a accéléré la tendance structurelle à la baisse alors que la croissance des émissions des grands pays émetteurs asiatiques n’ont été que peu freinées. Depuis la fin de l’année 2020, le redressement économique s’est traduit par une reprise rapide des activités carbonées. La dépendance au charbon trace une frontière très nette entre les régions qui s’en détournent (États-Unis, Europe), où la reprise des émissions n’efface pas la baisse de 2020, et celles où le minerai noir a conservé le soutien des pouvoirs publics (Asie-Pa­cifique), au point d’être la cause principale du rebond des émissions au-delà des niveaux de 2019.

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Malgré les espoirs suscités par le choc de la pandémie pour une relance décarbonée de l’économie, il n’y a toujours pas de transition observable à l’échelle globale à proprement parler. Plutôt qu’une substitution nette des modes de production et de consommation bas carbone à des modes carbonés et émissifs, la tendance de la période reste à l’accumulation : des énergies fossiles et bas carbone, du parc de véhicules thermiques et électriques, des nouvelles constructions aux normes et du bâti ancien à rénover, etc. En revanche, des transitions relatives s’opèrent au sein des flux régionaux qui alimentent cette accumulation. D’une part, les énergies renouvelables gagnent en rentabilité sur les énergies fossiles, notamment le charbon, portées entre autres par la hausse du prix du carbone en Europe et les investissements chinois, avec un pic d’installations solaires inédit au Vietnam (+11 GW en 2020). D’autre part, la mobilité électrique prend de la vitesse, portée par des politiques incitatives européennes et chinoises, mais aussi par l’irruption des bus électriques en Amérique latine. Ces dy­namiques traduisent la croissance et la consolidation de filières économiques et industrielles bas carbone, poussées par la triple pression des pouvoirs publics, des citoyens et des marchés.

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Du transport au chauffage des bâtiments, des industries lourdes à la mobilité internationale, l’élec­trification des usages est au coeur des stratégies publiques et privées pour conduire la transition bas carbone. La vitesse de mise en place de ces stratégies peut générer parfois une résistance frontale aux initiatives locales, comme dans la bataille qui oppose des villes américaines aux États et compagnies gazières autour des codes énergétiques dans les nouveaux bâtiments. A contrario, les constructeurs automobiles se montrent parfois plus empressés que certains États de sortir de la production des véhicules thermiques. Quoiqu’il en soit, l’efficacité du « tout-électrique » pour le climat ne peut être assurée que par un mix électrique bas carbone. Or, si la production d’origine renouvelable est au plus haut en 2020, les mix des grands marchés que sont la Chine, l’Inde, les États-Unis et même l’Europe restent majoritairement dépendants du charbon et du gaz. Pour les citoyens sans alternatives aux énergies fossiles pour se chauffer ou se déplacer, comme pour les États, la dépendance prolongée au gaz, au pétrole et au charbon pourrait s’avérer coûteuse, comme le laisse présager les inflations et difficultés d’approvisionnement en Chine, en Inde et en Europe à l’automne 2021.

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Après les premiers chocs dus au Covid-19, l’activité économique a repris à toute vitesse, au point de provoquer des tensions et des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, intensi­fiées par la désorganisation du fret maritime. En pleine croissance, les filières de la transition ne sont pas épargnées : les marchés du bois, du vélo ou des semi-conducteurs font face à des pénuries et des inflations spectaculaires des cours des matières premières, accentuées par la concentration de leurs chaînes d’approvisionnement entre les mains de quelques acteurs, qui génère des goulets d’étranglement. Trop lentes pour le climat, les transitions régionales vont trop vite pour les chaînes d’approvisionnement mondiales. C’est donc un moment charnière d’adaptation à marche forcée de l’économie mondialisée aux nouvelles exigences d’un monde bas carbone auquel nous assistons, dans un contexte de restrictions et de pénuries provoquées par la pandémie et ses conséquences.

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L’adaptation de l’économie aux besoins de la transition s’observe d’abord à travers l’appropriation par les grands groupes privés de la grammaire de la « neutralité carbone », boussole de l’action climat depuis l’accord de Paris. Dans les secteurs de l’énergie, de l’industrie, du transport maritime et aérien, les grands groupes formulent des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de plus en plus souvent associés à des plans d’action détaillés. Intégrés aux stratégies de croissance des entreprises, l’alignement des cibles et actions de réduction des émissions sur les trajectoires nécessaires pour limiter le réchauffement à 2 ou 1,5 °C fait l’objet d’un suivi attentif par les ONG spécialisées. Il reste néanmoins à vérifier que cet engagement à trente ans ne masque pas les retards dans les mesures à court terme, alors que c’est la rapidité de la baisse qui est le socle des scénarios de stabilisation du climat sous les deux degrés.

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L’adaptation des acteurs aux pénuries et à l’économie bas carbone se lit à travers la concentration progressive de certains marchés autour de quelques acteurs dominants, et l’intégration verticale des filières entre fournisseurs de matières premières et fabricants de produits finis. Les compagnies minières multiplient les fusions-acquisitions pour accroître l’exposition de leur portefeuille d’activités aux métaux demandés par la transition énergétique. Les majors pétrolières européennes prennent de plus en plus de place sur les marchés bas carbone en finançant leur diversification dans les énergies renouvelables, bornes de recharges, hydrogène… grâce aux capacités d’investissement et de rachat d’actifs permises par le pétrole. La fin de mécanismes d’aides publiques à la production d’énergie et l’explosion des Power Purchase Agreement renforce l’émergence d’un « marché de gros », plutôt favorable aux grands énergéticiens qu’aux entreprises municipales et aux coopératives citoyennes. Le marché des micromobilités électriques poursuit aussi sa concentration, au rythme des apparitions et disparitions éclairs de nouveaux produits et acteurs.

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L’alignement des acteurs sur la neutralité carbone requiert au premier chef une réduction des émis­sions directes et indirectes. Une gageure pour certaines industries lourdes dont le coeur d’activités ne peut faire l’économie de processus industriels très émetteurs (acier, chimie, ciment), tout comme pour les transports internationaux qui nécessitent d’immenses quantités d’énergie. À la faveur de la reprise économique et des plans de relance, l’hydrogène bas carbone et la capture du carbone (CCUS), ont fait l’objet d’annonces d’investissements massifs en 2020 et d’un regain d’intérêt poli­tique. À l’heure actuelle, leur utilisation à des fins de décarbonation demeure toutefois marginale. L’hydrogène, dont la production repose encore largement sur les énergies fossiles, est principalement utilisé pour le raffinage d’hydrocarbures et la production d’ammoniac, tandis que le CCUS est surtout financé pour aider à la récupération assistée de pétrole dans les réservoirs en déplétion plutôt que pour séquestrer le carbone de façon permanente.

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Les soutiens financiers et régulations des États demeurent des catalyseurs essentiels de l’adoption de technologies de transition par les acteurs non-étatiques, tout comme ils peuvent constituer des freins à la transition lorsqu’ils sont fléchés sur des secteurs émetteurs. Face aux pressions sur les chaînes d’approvisionnement en biens et matières premières stratégiques à la transition, les États occidentaux tentent de constituer des écosystèmes industriels régionaux orientés vers les technologies bas carbone. Aux côtés de plans de sauvetage parfois pour des industries émettrices, souvent sans contrepartie climatique, une partie des plans de relance portés par les États du G20 tente d’orienter la reprise vers la transition.

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En Europe, les villes de la Convention des maires pour le climat et l’énergie ont baissé leurs émissions de 25 % entre 2005 et 2017, surpassant l’objectif fixé par l’UE de -20 % en 2020, selon le Joint Research Center. Ces territoires, qui représentaient 15 % des émissions européennes, montrent par leurs résultats un impact quantitatif significatif des politiques urbaines à la décarbonation du continent. Que ce soit pour l’approvisionnement en énergie renouvelable, la transformation de la mobilité urbaine, la gestion des déchets ou l’encadrement de la construction et de l’approvisionnement énergétique des bâtiments, les gouvernements locaux peuvent accélérer la création d’un environnement favorable à la transition. Cependant, l’inverse est aussi vrai : les réticences de certains États américains à aban­donner les énergies fossiles dans les bâtiments ou les mobilités montrent que les gouvernements sub-nationaux peuvent également freiner la transition lorsqu’elle menace les intérêts économiques de leur territoire.

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Les procès et décisions de justice sur le climat font désormais partie intégrante du paysage de l’ac­tion climat, qu’ils soient à l’initiative de la société civile ou de gouvernements locaux. Encouragés sans doute par quelques succès retentissants enregistrés ces dernières années, le nombre d’affaires judiciaires relatives au climat ne cesse d’augmenter depuis 2017. Surtout, les décisions gagnent en force normative, en appuyant la nécessité pour les États ou les entreprises condamnées d’aligner leurs actions sur leurs engagements. Cette année, la société civile a remporté plusieurs victoires symboliques contre les grands acteurs des énergies fossiles, mais a également essuyé des revers comme l’annulation de la suspension de l’extension de l’aéroport d’Heathrow. En parallèle, le réper­toire d’action de la société civile s’élargit. Après les marches et grèves pour le climat, puis l’émergence d’une culture militante non-violente propre au climat, l’activisme actionnarial fait entrer la lutte climatique au coeur des assemblées générales des grandes entreprises. Dans un autre registre, le travail continu des ONG indonésiennes porte ses fruits, en implantant une véritable culture norma­tive dans la filière huile de palme.

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